Faits et procédure :
Devant la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, Jean-Baptiste de GUBERNATIS assure la défense de M. X, président d’une association de protection des animaux, qui est poursuivi pour diffamation publique envers des fonctionnaires publics, à l’initiative de deux agents municipaux qui lui reprochent d’avoir tenu des propos attentatoires à leur honneur lors d’une interview diffusée en direct le 8 avril 2020 sur une station de radio locale.
Lors de cette émission, M. X s’était interrogé sur la volonté des deux agents municipaux de favoriser injustement une société privée dans l’attribution du marché public de la fourrière animale de la commune concernée, au détriment de l’association présidée par M. X.
Condamné en première instance à une amende délictuelle ainsi qu’à des réparations civiles par jugement du tribunal correctionnel de Marseille rendu le 15 octobre 2021, M. X a interjeté appel.
Par arrêt du 6 décembre 2022, la cour d’appel a confirmé le jugement de première instance.
Le 7 décembre 2022, Jean-Baptiste de GUBERNATIS a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et a rédigé le mémoire personnel produit par M. X devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Règles de droit invoquées :
Devant la cour d’appel, Jean-Baptiste de GUBERNATIS sollicitait la relaxe du prévenu, au motif qu’il s’était exprimé de bonne foi et que sa condamnation constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, liberté fondamentale garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
En effet, en cas de poursuites pour le délit de diffamation publique prévu et réprimé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le prévenu peut voir sa responsabilité pénale écartée s’il démontre qu’il s’est exprimé de bonne foi.
Pour cela, il doit remplir quatre conditions dégagées par la Cour de cassation :
- poursuivre un but légitime
- avoir mené une enquête sérieuse
- s’exprimer avec prudence et mesure
- être dénué d’animosité personnelle
Toutefois, pour garantir une protection effective de la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’Homme impose que ces quatre critères soient appréciés moins strictement lorsque les propos incriminés s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et s’appuient sur une base factuelle suffisante.
Devant la cour d’appel, Jean-Baptiste de GUBERNATIS soutenait que les propos de M. X remplissaient ces conditions. Il a déposé des conclusions aux fins de relaxe, à l'appui desquelles il a versé aux débats plusieurs attestations et fait citer trois témoins qui sont venus déposer à la barre.
Néanmoins, pour écarter le fait justificatif de bonne foi, la cour d’appel s’est contentée d’énoncer que « ni les pièces produites aux débats ni les témoignages des trois témoins […] ne permettent de donner une base factuelle » aux propos tenus par le prévenu.
Devant la Cour de cassation, Jean-Baptiste de GUBERNATIS soutenait notamment que la cour d’appel n’avait pas suffisamment analysé les pièces et déclarations des témoins invoqués par la défense et qu’elle avait insuffisamment motivé sa décision, méconnaissant ainsi les exigences imposées par la Convention européenne des droits de l’Homme, la loi sur la liberté de la presse et le code de procédure pénale.
Décision :
Par arrêt du 14 mai 2024, la Cour de cassation a retenu le premier moyen de cassation développé par Jean-Baptiste de GUBERNATIS et, sans qu’il y ait lieu d’examiner les trois autres moyens qu’il proposait, a cassé et annulé l’arrêt rendu le 19 décembre 2022 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, au visa des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale, aux motifs que :
« 15. (…) dès lors qu'ils avaient retenu le caractère diffamatoire des propos, il appartenait aux juges après les avoir énumérées, d'analyser la teneur des pièces invoquées par le prévenu au soutien de l'exception de bonne foi, afin d'énoncer précisément les faits et circonstances lui permettant de juger, en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de but légitime d'information et d'enquête sérieuse, afin, si ces deux conditions étaient réunies, d'apprécier moins strictement les critères d'absence d'animosité personnelle et de prudence et mesure dans l'expression.
16. Ils ne pouvaient ainsi se limiter à invoquer les pièces produites aux débats et les témoignages sans les analyser, ne mettant pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle. »
Cette solution s’inscrit dans la droit ligne d’un précédent arrêt rendu par la Cour de cassation (Crim., 7 janv. 2020, no 18-85.620 P).
Du fait de la cassation ainsi obtenue, l’affaire de M. X devra être rejugée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée, qui devra cette fois-ci analyser précisément les éléments fournis par la défense à l’appui de l’exception de bonne foi.