Extradition / Iran / Avis défavorable

Par arrêt du 13 décembre 2023 la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix en Provence a rendu un avis défavorable à l'extradition de M.F., ressortissant iranien, vers la République d'Iran.

FAITS ET PROCEDURE :

Le 27 mars 2023, M.F. a été placé sous écrou extraditionnel en application d'une demande d'arrestation provisoire du 24 février 2020 émise par le gouvernement de la République islamique d'Iran en exécution d'un mandat d'arrêt décerné par les autorités judiciaires iraniennes pour l'exercice de poursuites pénales relatives à des faits de "trafic de devises", "blanchiment de fonds" et "fraude" commis à Téhéran en 2018.

Le 19 avril 2023, Bruno REBSTOCK et Jean-Baptiste de GUBERNATIS ont obtenu la mainlevée de l'écrou extraditionnel et le placement sous contrôle judiciaire de M.F.

Le 11 mai 2023 les pièces de justice ont été notifiées à M.F. Il résulte du document établi par le juge d'instruction iranien que M.F. fait l'objet d'accusation des chefs d'"escroquerie"  et "blanchiment d'argent", infractions punies de "7 ans d'incarcération et d'une amende équivalente à 250 millions de dollars" pour avoir "au cours des années 2017-2018 (...) conçu et mis en oeuvre des opérations frauduleuses via la création de fausses entreprises et de sociétés irréelles. Pour ce faire, il a créé et dirigé un groupe criminel.(...)".

Par mémoire du 23 mai 2023 Bruno REBSTOCK et Jean-Baptiste de GUBERNATIS sollicitaient de la cour un avis défavorable aux motifs :

- de l'imprécision quant aux lieux et dates de commission des faits allégués;

- de l'absence d'éléments d'identification des prétendus complices;

- de l'absence d'éléments relatifs à l'éventuelle victime des faits allégués;

- de l'imprécision des qualifications pénales et des peines prévues;

- du risque réel d'atteintes aux droits fondamentaux (peine de mort, flagellation, tortures, traitements inhumains et dégradants en détention)

Le 7 juin 2023 par arrêt avant dire droit, la cour ordonnait un supplément d'information afin de solliciter des autorités iraniennes de nombreuses précisions factuelles et juridiques.

Le 5 juillet 2023, Bruno REBSTOCK et Jean-Baptiste de GUBERNATIS obtenaient la mainlevée du contrôle judiciaire, permettant ainsi à M.F. de quitter le territoire français pour rejoindre son lieu de résidence habituelle.

Le 25 septembre 2023 l'Iran répondait à la demande de supplément d'information.

Par mémoire complémentaire, la défense de M.F. faisait observer que, loin de communiquer les précisions factuelles et juridiques demandées, la réponse des autorités iraniennes ajoutait à l'imprécision de la période de prévention et de la durée de la peine d'emprisonnement encourue. Elle ne dissipait pas non plus les craintes relatives au possible prononcé de la peine capitale, de la peine de flagellation qualifiée de "peine légère", aux tortures et traitements inhumains et dégradants ainsi qu'au déni de justice que subirait indéniablement M.F. .

Concernant le lieu de détention, l'Iran précisait qu'en cas de privation de liberté M.F. serait détenu à la prison d'Evin. Or cet établissement pénitentiaire est documenté comme un lieu de violation gravissime des droits fondamentaux (torture, humilation, traitement dégradant).

De manière générale, la défense ajoutait que les assurances fournies par la République islamique d'Iran ne pouvaient être regardées comme garantissant une protection suffisante des droits fondamentaux de M.F., en raison notamment de leur formulation en des termes vagues et généraux et de l'absence de coopération franco-iranienne en matière de droits de l'Homme. Elle soulignait en outre que l'Iran n'est pas partie contractante à la Convention européenne des Droits de l'Homme et à la Convention des Nations-Unies contre la torture, et que cet Etat commet des violations systémiques, généralisées et persistantes des droits de l'Homme.

DECISION :

Le 13 décembre 2023 la chambre de l'instruction, reprenant l'ensemble des arguments développés par la défense de M.F., rendait un avis défavorable, mettant ainsi un terme définitif à la procédure d'extradition.

Notons qu'à la faveur de cette procédure, la cour s'est prononcée sur la question de l'absence de comparution personnelle de la personne réclamée. En raison de difficultés de santé M.F. n'a pu se présenter devant la cour à l'audience du 29 novembre 2023. Or l'article 696-13 du code de procédure pénale prévoit la comparution devant la chambre de l'instruction de la personne réclamée, celle juridiction ne pouvant statuer sans entendre l'intéressé (Cass crim. 31 mai 1988; pourvoi n° 88-81.966). La défense de M.F. a fait valoir qu'elle était munie d'un pouvoir de représentation express de M.F. et que la Cour de cassation a pu juger en matière de mandat d'arrêt européen que l'absence de comparution personnelle de la personne réclamée ne fait pas obstacle à ce que la chambre de l'instruction statue, l'absence ayant pour seule conséquence de faire présumer que l'intéressé ne consent pas à sa remise et ne renonce pas à la règle de spécialité. En l'espèce la cour, retenant ces arguments et relevant le cas de force majeure (obstacle médical), s'est prononcée sur le fond en l'absence de M.F.